Salut, moi c’est Câline. Et je portais bien mon nom avant. Avant de connaitre la cruauté.

Mon histoire est tristement banale.

Avant, j’étais plutôt heureuse.
En tout cas, je ne me trouvais pas à plaindre comparée à tous ces malheureux animaux qui font la une des journaux.
Je vivais seule avec mon ancien maître. Il n’était pas à proprement parler un « maître aimant » mais au moins, j’avais un toit, à boire et à manger.
Je n’en demandais pas plus. Les câlins, j’allais les chercher à l’extérieur, quand je croisais les voisins qui ne manquaient pas de me donner un morceau de jambon à l’occasion.

À cette époque, même si mon maître ne s’occupait pas beaucoup de moi, je pouvais trouver ce dont j’avais besoin dans la rue .
Ils me connaissaient bien dans le quartier. Avec mon nez au vent et ma queue qui remue, j’étais toujours partante pour des papouilles.

Puis les années ont passé et mon maître a changé. Il s’est mis à boire. Beaucoup. Il oubliait de plus en plus de me donner à manger.
J’étais de plus en plus souvent dans la rue. Les voisins s’inquiétaient pour moi mais j’étais toujours bien portante alors que pouvaient -ils faire à part me ramener à la maison quand ils me voyaient et faire la leçon à mon maître?

Puis un jour, ils ne m’ont plus vu du tout. Ils ont pensé avec tristesse que j’étais sûrement morte, accidentée par une voiture.

En fait, c’était bien pire que ça.

Trois mois ont passé, et on n’a plus trop pensé au chien vagabond que j’étais. Jusqu’à ce que je réapparaisse. Ils ne m’ont pas reconnu au début.
Moi, la labrador grassouillette avec ses quelques kilos de trop, je n’étais plus qu’un sac d’os. L’ombre de moi- même. Encore vivante oui, mais morte à l’intérieur

Gisante sur le trottoir devant ma maison, je n’avais même plus la force de me relever. Elle était bien loin la câline qui vagabondait le nez au vent.

Une gentille dame est arrivée. Je me souviens d’elle parce qu’elle me donnait des friandises à l’époque où j’étais heureuse. Elle m’a longtemps regardé et j’ai vu son regard changer. « Câline? » Je n’avais pas la force de lui répondre. Elle m’a vite ramassée sur le trottoir et m’a conduit chez un vétérinaire.

Là bas, ils n’avaient encore jamais vu ça. Ils ont d’abord cru que j’allais mourir, ils n’avaient pas beaucoup d’espoir. Trop faible.
Trop maigre. Incapable de tenir debout, et surtout, trop résignée. Mais ils ont essayé quand même. Ils ont appelé la Fondation
Assistance aux Animaux parce que je portais les traces évidentes de sévices. Ils ont tout de suite répondu présents.

Personne ne sait ce que j’ai subi. Et je ne le dirais pas. Ça importe peu. Je n’ai plus aucun espoir et je ne serais plus jamais
heureuse. Ça leur a fait peur aux vétos. Ils disaient « La médecine a ses limites. Si elle ne s’accroche pas à la vie, on ne pourra
pas faire de miracle, et là c’est un miracle qu’il nous faut »

J’ai passé 6 jours sous perfusion et ça m’a redonné un peu de force physique. J’ai donc rejoins un des refuges de la Fondation
Assistance aux Animaux. Ils se sont dit que j’y serais mieux que dans une infirmerie. Je m’en fichais. Ici ou là, qu’importe?

J’ai bien vu quand je suis arrivée, que les gens qui m’ont accueilli étaient tous bouleversés par mon état. Mais je n’ai pas eu la force de réagir.
Pas eu le courage de les saluer. Pas eu l’énergie de les rassurer.
Je me suis lamentablement assise, misérable, la tête basse, en attendant qu’ils décident ce qu’ils allaient faire de moi.

« Ça va aller ma puce, on va s’occuper de toi, ça va aller » ils me répétaient en me caressant le menton.

J’ai levé mes yeux pleins de douceurs et de tristesse vers eux, et j’ai vu que même si moi je n’y croyais pas une seconde, eux en avaient l’air convaincu.

Ils m’ont conduit au chaud, et m’ont laissé tranquillement m’habituer à ma nouvelle maison.

Au début, j’ai refusé de manger. Ils ont tout essayé. Croquettes, pâtée, saucisses, steak, fromage … Mais ça ne m’intéressait pas.
Chaque jour, ils s’asseyaient avec moi, sans rien faire d’autre que de me parler et de me caresser. Ils étaient si gentils, ils avaient tous l’air si triste … mais je n’avais plus la force de les encourager à m’aimer.

Puis le 4ème jour, quand ma visiteuse a voulu quitter mon box, je l’ai retenu avec ma patte. Je n’ai pas vraiment fait exprès, c’était instinctif, mais elle m’a regardé, et elle a vu une étincelle dans mon regard. Ça n’a duré qu’une seconde. Mais elle a compris. Elle a compris que l’envie de vivre me rattrapait. Elle a compris que toute la douceur qu’elle avait mise dans ses caresses et dans ses mots était en train d’arriver jusqu’à mon cœur. Et elle est restée encore avec moi, jusqu’à ce que je m’endorme dans ses bras.

Ça fait quelques jours maintenant que je suis là. Je porte toujours toute la misère du monde sur mes frêles épaules, mais je vois
le bout du tunnel. Au refuge, ils me cuisinent des petits plats exprès pour moi. Au début, j’y touchais à peine. Mais quand je vois leurs visages irradier de bonheur quand je picore dans la gamelle, je me sens obligée de la finir.

J’ai repris des forces. J’arrive à marcher, mais pas longtemps. Je suis encore très loin de courir un marathon.

Chaque jour qui passe, chaque gamelle engloutie, chaque sortie, c’est une petite victoire pour mes soigneurs. Mais surtout ce
qui a changé, c’est que de les voir heureux, ça me rend heureuse. J’ai envie d’aller mieux. J’ai envie de leur tirer des sourires, et plus des larmes.

Ils savent que le chemin sera encore long avant que j’oublie mon passé. Mais chaque jour je progresse un petit peu plus.

Je commence à relever la tête. J’apprécie leur présence et même qu’hier, j’ai commencé à faire des bisous.

Maintenant je le sais, un jour j’irais mieux. Ils me l’ont dit. On a tout le temps devant nous. Et demain, je serais à nouveau cette boule de douceur qui se balade le nez au vent. Demain, ce n’est pas si loin finalement.